Un jour de 2005, je retrouve Oli (devenu Oli DjiDji, un des membres du groupe Garba50) avec qui j’ai fait le lycée. Quelque fois dans nos chambres d’internat, on se faisait des freestyle sur des beats samplés (vous savez, ces bouts de musique sans parole qui restait à la fin des morceaux…). A l’époque, nous n’avions ni Internet ni tous ces logiciels plus ou moins faciles pour créer nos propres instrus.
Lui, n’a pas lâché sa passion. Il faut croire que je n’étais pas doué pour le rap 🙂 mais mon écriture « rapologique » s’est transformé en écriture poétique. Et mon flow… bah mon flow? je ne sais pas où il est passé. Oli, dans l’intervalle, a rencontré Sooh avec qui il a commencé à trainer dans les « sound system », avec qui il avait une envie dévorante de faire montre de leur talent.
A cette époque, ils avaient ce titre « Tu vas faire comment » et le refrain me faisait bien marrer. il était plein de « punchlines » qui sont rentrées depuis dans le langage courant:
Il est serein comme mauritanien qui dit y’a pas monnaie!
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On met ta fille en gbé*
Et puis on fait sauter*
Ou bien on refuse ça
Et puis ça (v)a pas quelque part
Dans pays là
C’est comme ça
Tu (v)as faire comment?
On pisse sur les murs
Et puis ça (v)a pas quelque part
Dans ce pays
C’est comme ça
Tu (v)as faire comment?
C’est avec ce morceau que notre aventure ensemble a démarré. Ils avaient les paroles, j’ai composé la musique. Mon pote Laskazas, qui était à la base de ma re-rencontre avec Oli, a sauté les deux pieds joints dans l’aventure. Puis nous avons réussi à convaincre une troisième personne: Yannick. Nous étions jeunes, les poches vides mais les têtes pleines de rêves et d’ambition:
Voir triompher le rap dans une époque où le Coupé décalé était au sommet de sa gloire.
Douk Saga, sa Jet Set et tous les dérivés régnaient sur la musique ivoirienne. On n’écoutait plus de la musique (il n’y avait plus de paroles), on dansait plutôt la musique. Par conséquent, le public n’achetait plus vraiment de disques (surtout que les CD coûtaient entre 7.000F et 15.000F). Nous étions également dans la période post Almighty – Stezo – MAM, ceux qui avaient fini par être les figures de proue du mouvement hip Hop ivoirien. Au cours de ces années 2005 / 2006, quand le rap était mort, on a été les chefs d’orchestre d’une aventure fabuleuse, celle du groupe Garba50 qui a réinventé le rap abidjanais.
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JeuneS ProducteurS moisiS
Aucune « maison de disques » (si on pouvait les appeler ainsi) ne voulait du groupe. Dans certains cas, j’avais pu constater que certaines demandaient même aux artistes de les payer pour qu’elles produisent leur album. (What kind of nonsense is this?). Nous n’avions déjà pas d’argent, nous n’allions pas en donner à des gens qui ne voulaient fournir aucun effort.
Alors le premier exercice aura été d’intégrer un petit studio dans le modèle économique puis de se mettre à composer nous même de la musique. Sur 13 titres, j’en ai produit 5 (ça a aller, survivants, Tu vas faire comment, la paix maintenant, on va gagner). Avec un peu de chance et de constance, j’aurais peut-être eu la carrière de ShadoCris 🙂
250.000 F comme investissement
On a fait le pari de l’auto-production. Enregistrement de l’album à nos « frais », production des CD, packaging et distribution par nos soins. La totale, en fait. A trois (Laskazas, Yannick et moi), nous avons mis ensemble tout ce que nous pouvions et ça s’élevait à 250.000 F (ne vous moquez pas). Pour les enjeux, le montant était évidemment insignifiant pourtant nous rêvions de bien faire les choses. Tout ce qu’il nous restait, c’était d’être malin
Investissement et réinvestissement
Ce montant devrait servir à produire les premiers disques et démarrer la promotion. Depuis nos graveurs d’ordinateur, nous avons, comme on le disait, « pressé » les CD, les 250 premiers. Notre pari était de réussir ces premières ventes et d’utiliser l’argent généré pour produire encore plus de disques et aller un peu plus loin dans la promotion de l’album.
Un graphisme minimaliste
Puisqu’on produisait les CD dans nos chambres, nous voulions leur donner un look « sérieux ». Comme on le dit: « C’est la manière dont tu te vends qu’on t’achète ». Alors, on voulait une étiquette CD, une pochette, des affiches, des flyers, etc. Mais pour pouvoir le réaliser, on a été assez astucieux pour opter pour le noir et blanc. Pas toujours parce qu’on le voulait mais surtout parce que cela coutait 4 fois moins cher que de le faire en couleur. Le graphisme a été fait de telle sorte que l’on pouvait penser que c’était un choix artistique très voulu… oui oui, une volonté guidée par la contrainte.
Combattre le feu par le feu
Nous avons décidé que le prix de vente serait de 2.000F. Il y a 10 – 11 ans, c’était de la folie. Le CD le moins cher était vendu à 7.000 F, le prix moyen était de 12.000F. Par contre, tous les vendeurs ambulants (les pirates) qui faisaient des copies illégales les vendaient à ce prix: 2.000F. Nous avions décidé de combattre le pirate en utilisant ses propres méthodes: un prix défiant toute concurrence et une distribution de proche à proche. Ce modèle était révolutionnaire et une partie de notre communication reposait sur ce message. Le rap Abidjanais qui venait changer le paysage musical du pays devait impliquer les acheteurs: soutenez la révolution en achetant l’original.
Un autre modèle de distribution
En 4 mois, nous avions vendu plus de 2.000 CD tout cela en ne faisant ni radio, ni TV et en n’étant dans aucun réseau de distribution classique. Nous avions opté pour une distribution de proche à proche, des étudiants dans leur environnement qui recommandent l’album. Les salons de coiffure et les cybercafés principalement à Yopougon distribuaient l’album. Et tout ceci était basé sur un principe simple: l’écoute gratuite.
Le digital avant l’heure
Le point focal de l’écoute gratuite était le site Internet du groupe: www.garba50.fb.bz (Garba50, Faut Bouffer Bon Zeggen 😀 ). Sur le site, nous avions mis quelques titres en écoute libre. Faire profiter la cible et l’inviter à la suite à acheter. En ces temps là, Il n’y avait pas de Facebook et autre soundcloud pour partager la musique au plus grand nombre. Les connexions mobiles étaient quasi inexistantes, on était à la norme WAP, c’est à dire presque rien du tout. Les cybercafés étaient les lieux de rencontre et de dégustation de la musique.
L’explosion
Après avoir réussi, seuls comme des grands, à écouler un peu plus de 2.000 disques, nous avons démarré la radio qu’il fallait payer pour faire passer un titre. Le package pour être 6 fois par jour dans les playlists pendant 1 mois était de 250.000 F. C’est à partir de ce moment que le groupe est devenu national. « Tu vas faire comment » est devenu le coup de coeur du boss, feu François Konian. Il s’est impliqué dans la production et la distribution dans les réseaux normaux et les ventes ont été à un peu plus de 9.500 exemplaires. Dans la même période, le très célèbre « Grippe Aviaire » de DJ Lewis caracolait à 1.500 ventes.
Puis…
La séparation.
6 mois après l’explosion, nous nous séparions pour de nombreuses divergences de points de vue. Nous (Laskazas, Yannick et moi) avions un plan de développement en pas à pas qui ne concordait plus à la vitesse à laquelle les artistes voulaient avancer. De plus, les appels de sirène devenaient de plus en nombreux, plusieurs autres personnes souhaitant travailler avec le groupe.
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Apres Garba50, Kiff no beat
Aujourd’hui, je trouve beaucoup de ressemblances entre Garba50 et Kiff no beat. Le dernier est un groupe que j’aime beaucoup. Pour le talent mais surtout pour ce qu’il a réussi: remettre progressivement le Hip Hop au centre de la scène musicale ivoirienne. Puis replacer le hip hop ivoirien dans les conversations musicales du continent. Belle ascension depuis les petites scènes de jeunes et leur couverture de « Swag Mag » (je vous parlerai de ce petit magazine dans un autre article).
En créant un nouveau genre entre ambiance et rap, ils ont séduit une « clientèle » qui était fan absolu du coupé décalé et l’a tirée progressivement vers ce que le groupe désirait vraiment: du bon son brut pour les truands.
Je trouve qu’ils ont l’ADN d’un Garba50. Et je souhaite encore plus de réussite aux 5 loups.
Un épilogue?
Laskazas m’a demandé: Pourquoi écrire sur l’histoire de Garba50 après 10 ans?
Je lui ai répondu tout bêtement: « Parce qu’il faut écrire ». 🙂 (oui je sais, vous n’êtes pas très avancés avec cette réponse).
Il faut écrire pour laisser une mémoire et donner de la matière aux nouveaux entrants. Qu’ils sachent qu’on peut réussir beaucoup de choses même si on est très jeunes, avec de la discipline, de la créativité et beaucoup de travail. Qu’ils apprennent des erreurs de leur prédécesseur, ne pas courir plus vite que la musique…. Le plus dur finalement n’est pas d’arriver au sommet mais de se maintenir au sommet. Aussi, le talent ne suffit pas, savoir s’entourer est tout aussi fondamental.
Le véritable élément déclencheur est un rangement que je faisais dans mes dossiers. Je suis tombé sur les archives de tous mes travaux pour Garba50. Et j’ai repensé au groupe qui est séparé aujourd’hui. Et je me suis encore dit « Mais quel gâchis! ». Comment fait-on pour avoir autant de talent et ne pas avoir le succès correspondant?
Je me pose encore la question…
GARBA 50 humm que de souvenir , des texes et du son … mauvais mauvais garçon !!!
Merci Stéphane pour cet article. Ça nous rappelle combien de fois l’on doit être discipliné et solidaire. Demain sera meilleur.
Avant je me plaignais de la stratégie marketing adoptée par le groupe qui stipulait selon une rumeur que le groupe ne souhaitait pas passer à la télé parce qu’il est un groupe de rue, et faisiait du gansta rap. Mais avec cette histoire je comprend mieux les circonstances dans lesquelles vous avez évolué. Ils ont un talent fou et le gachent toujours avec cette separation. A l’image de Tour2Garde ils auraient pu conquérir l’Afrique.
En tout cas je ne peux qu’être fier de vous (Stephane) et comprend aisement votre evolution dans la pub.
Vous êtes un fonceur et vous m’inspirez.
Bonne chance pour la suite de votre carrière , que Dieu vous guide et vous inspire toujours plus !
La rumeur avait une base de vérité. Au début, on ne voulait pas faire de TV pour garder continuer de garder l’authenticité rue mais surtout pour gravir les échelons étapes après étapes.
Je me souviens encore la première fois que j’ai écouté le tub ‘Sans soi’…
Quelle l’inspiration !?
Je me souviens encore la première fois que j’ai écouté le tub ‘Sans soi’…
Quelle inspiration !?
Ils ont inspiré Sans Soi et bien d’autres groupes. Les inventeurs du rap abidjanais
J’aurais dit « ne pas danser plus vite que la musique ». Superbe article et je suis tout a fait d’accord avec toi sur l’intérêt d’écrire, pour que ça serve aux autres, pour la postérité. Good job Steph!
Merci
On doit arrêter la tradition orale 🙂
on ne conserve pas assez bien l’histoire avec l’oral
« la vie est dure quand on s’accroche à la vertu »…
J’ai été un fan de la première heure et j’ai surtout été déçu de nouveaux albums… Je comprends mieux pourquoi aujourd’hui.
Thanks Stéphane, for sharing with us lessons from past.
« la vie est dure quand on s’accroche à la vertu »…
J’ai été un fan de la première heure et j’ai surtout été déçu de ne pas écouter de nouveaux albums… Je comprends mieux pourquoi aujourd’hui.
Thanks Stéphane, for sharing with us lessons from past.